Cas Clinique : Pesenteurs pelviennes | Proktos

Cas Clinique : Pesenteurs pelviennes

Cas Clinique : Pesenteurs pelviennes

Par 22/01/2002 - Laurent SIPROUDIS

DESCRIPTION

Madame X 74 ans souffre depuis deux ans de pesanteurs pelviennes accentuées par les exercices physiques et les efforts de poussée abdominale. Les pesanteurs sont calmées par le repos. Ces pesanteurs ne sont pas influencées par les mictions et les défécations. Il existe une incontinence de type passif pour les gaz et les selles liquides (score de Wexner à 9) sans incontinence urinaire associée.

Le terrain pelvien passé est dominé par une multiparité (3 accouchements) sans complication de nature obstétricale, un adénocarcinome de l’endomètre envahissant le tiers externe du myomètre avec atteinte ganglionnaire traitée par une association radio-chirurgicale (hystérectomie et radiothérapie externe) il y a 6 ans. Elle souffre enfin d’une constipation chronique depuis l’hystérectomie et a été opérée d’un prolapsus rectal complet extériorisé il y a deux ans selon une intervention de type Delorme (mucosectomie, plicature de la musculeuse rectale par voie trans-anale).

Les données de l’examen clinique témoignent d’un anus court hypotonique. La contraction volontaire palpée au niveau de la sangle du muscle puborectal et du sphincter anal externe est rapidement épuisable mais il n’existe pas d’anisme clinique. On constate en poussée une cystocèle de grade 1 sans cervicocystoptose, une vulve étroite atrophique, un périnée descendant sans prolapsus récidivé. Le manchon du Delorme est bien perçu au niveau de la face antérieure du bas rectum mais il ne s’extériorise pas en poussée.

Les données de la défécographie (clichés en poussée) témoignent d’une entérocèle occupée par de l’iléon qui s’immisce très bas dans la cloison rectovaginale, d’un périnée descendant marqué (avec un cap anal siégeant plus de 9 cm au dessous de la ligne pubococcygienne). Le manchon du Delorme ne s’extériorise pas et l’évacuation rectale est complète au terme de 15 secondes de poussée défécatoire.

Sur le plan thérapeutique, les pesanteurs pelviennes ne sont pas calmées par les antalgiques simples et par les laxatifs.

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QUESTIONS

1. Peut on affirmer la responsabilité de l’entérocèle à l’origine des pesanteurs pelviennes de Madame X ?
2. L’hystérectomie peut elle être rendue responsable de la constipation et de l’entérocèle ?
3. L’entérocèle est elle responsable de la constipation ?
4. Dans l’hypothèse où les pesanteurs sont en rapport avec l’entérocèle, quels gestes chirurgicaux peut on envisager et avec quels résultats fonctionnels et anatomiques ?
5. Dans l’hypothèse où les pesanteurs sont en rapport avec l’entérocèle mais dans la mesure où les réticences des chirurgiens sont fortes (pelvis radique multi-opéré, patiente âgée, symptomatologie non critique), quelles alternatives thérapeutiques non chirurgicales peuvent être proposées ?

La réponse de l'expert

26/06/2002 - Dr Laurent SIPROUDHIS

Rationnel de l’observation

Les problèmes posés concernent la stratégie diagnostique et thérapeutique d’une entérocèle dans un contexte de passé multipathologique pelvien et de troubles intriqués de la statique pelvienne postérieure.

L’entérocèle appartient à l’ensemble des anomalies constituant une hernie vraie intra-pelvienne s’étendant dans l’espace recto-vaginal. Cette hernie est constituée du sac péritonéal et d’anses grêles. Les seules données de prévalence que l’on connaisse aujourd’hui sont celles émanant d’enquêtes radiologiques effectuées chez des gens souffrant de troubles de la statique uro-génitale ou de symptômes fonctionnels colo-proctologiques. La prévalence varie entre 18 et 42 % des cas (1-5). Ces troubles de la statique pelvienne sont rarement isolés : l’entérocèle est la seule anomalie constatée dans 18 à 62 % des cas.

L’hystérectomie peut elle être rendue responsable de la constipation et de l’entérocèle ?

Les symptômes de constipation sont souvent rapportés par les femmes opérées d’une hystérectomie. Ces symptômes sont habituellement régressifs mais ils peuvent, comme dans l’observation de Madame X persister ou s’aggraver à distance du geste. Il a été évoqué, dans le mécanisme pathogénique de ce type de trouble, des altérations neurophysiologiques du colon gauche responsables d’un trouble de la motricité (activité colique motrice non propagée). Si les circonstances de survenue de l’entérocèle sont aujourd’hui mieux identifiées, il ne semble pas exister de processus univoque à l’origine de ce trouble de la statique pelvienne.

Certains auteurs ont démembré, sur un plan physiopathologique, les entérocèles d’origine congénitale (cul-de-sac de Douglas anormalement profond), les entérocèles de pulsion ou de traction en rapport avec une anomalie fonctionnelle ou organique associée (constipation chronique) et enfin les entérocèles iatrogènes. Il est vraisemblable, chez Madame X, que les deux derniers mécanismes soient mis en cause. On conçoit néanmoins que la formation d’une entérocèle soit directement liée à la présence d’un espace anatomique « inoccupé » en regard de la face antérieure du rectum. Ainsi, la profondeur et la surface d’une élythrocèle sont en moyenne moins importantes que celles d’une entérocèle ; la prévalence de l’entérocèle est plus élevée en cas de prolapsus extériorisé qu’en cas de prolapsus interne (44 % versus 28 %) ; les antécédents de chirurgie pelvienne favorisent la survenue d’une entérocèle (5,6). Chez 354 patientes ayant des symptômes fonctionnels proctologiques, la prévalence de l’entérocèle est plus élevée lorsqu’il existe un antécédent d’hystérectomie (40 % versus 25 %) (7). Les antécédents d’hystérectomie sont observés dans 27 à 93 % des cas d’entérocèle (le plus habituellement dans plus de 60 % des cas) (1-4,7,8). Les antécédents de cystopexies apparaissent également des facteurs favorisants puisqu’ils sont observés dans 28 à 35 % des cas. On sait, en effet, que la correction chirurgicale d’une cystocèle est un facteur de risque de survenue d’une entérocèle : le risque est d’autant plus marqué que la taille pré opératoire de la cystocèle est importante. Il est néanmoins important de faire le diagnostic d’entérocèle dans certaines situations. Il convient d’effectuer les clichés lors de l’évacuation rectale d’une défécographie et après opacification des anses intestinales par un liquide baryté, parce que le diagnostic d’entérocèle n’est fait qu’à l’occasion de l’effort de poussée abdominale dans 86 % des cas (9-11). On sait effectivement que certaines interventions chirurgicales peuvent exposer le malade à un risque important d’entérocèle secondaire : c’est le cas des hystérectomies par voie vaginale et des cures de cystocèle ou de rectocèle de grande taille. Dans ces situations, il apparaît important de faire le diagnostic d’entérocèle pour être à même de la corriger durant le même temps opératoire, ou encore de faire la preuve de l’absence d’entérocèle et d’envisager un traitement préventif. Le prolapsus extériorisé du rectum s’accompagne dans près d’un tiers des cas d’une entérocèle associée (4). Le diagnostic pré-opératoire est important car il conditionne la nature du traitement chirurgical du prolapsus : certains traitements chirurgicaux corrigent l’entérocèle associée (rectopexie et douglassectomie), d’autres non (intervention de Delorme, intervention de Altemeier). Il est concevable chez Madame X, que l’entérocèle puisse être présente depuis la réalisation de l’hystérectomie et n’a pas été pris en compte (ou diagnostiquée) lors du premier geste chirurgical du prolapsus rectal.

Peut on affirmer la responsabilité de l’entérocèle à l’origine des pesanteurs pelviennes de Madame X ?

Les principales manifestations symptomatiques observées chez les patients porteurs d’une entérocèle sont : la perception d’une masse ou d’une procidence intra-anale (33 à 69 % des cas) ou intra-vaginale (38 % des cas), une pesanteur ou une algie pelvienne mal systématisée plutôt d’allure mécanique (9 à 15 % des cas). Il existe également des manifestations moins spécifiques telles que des difficultés d’évacuation ressenties de façon subjective par 45 à 85 % des patients, des symptômes de constipation dans 15 à 83 % des cas, des manifestations d’incontinence urinaire dans 30 % des cas et d’incontinence fécale dans 32 % des cas (1,2,4,5,12).

Néanmoins, la responsabilité de l’entérocèle dans la survenue de ce type de symptômes est souvent imprécise. Dans l’étude rétrospective de Mellgren et coll. comparant 69 patients ayant un rectocèle à 128 patients n’ayant pas d’entérocèle, la prévalence de la dyschésie, des symptômes sévères de constipation, de l’incontinence ou des pesanteurs pelviennes est comparable dans les deux groupes (4). Il est néanmoins probable que les manifestations de pesanteurs décrites par Madame X soit en rapport avec l’entérocèle parce que les signes décrits évoquent assez nettement une composante écanique imprimée sur une pathologie de type herniaire. Madame X doit donc être clairement avertie des incertitudes d’ordre pathogénique qui concernent cette expression symptomatique.

L’entérocèle est-elle responsable de la constipation ?

La responsabilité de l’entérocèle dans la survenue de ce type de symptômes est souvent imprécise. Dans l’étude rétrospective de Mellgren et coll. comparant 69 patients ayant un rectocèle à 128 patients n’ayant pas d’entérocèle, la prévalence de la dyschésie, des symptômes sévères de constipation, de l’incontinence ou des pesanteurs pelviennes est comparable dans les deux groupes (4). Par ailleurs, chez 50 patientes constipées, la qualité de l’évacuation évaluée de façon radiologique et objective est bonne dans la quasi totalité des cas lorsqu’il existe une entérocèle associée (6). Au total, la responsabilité symptomatique d’une entérocèle est probable en cas de procidence génitale, elle est discutable en cas d’algie pelvienne profonde et elle est improbable dans la génèse des manifestations de constipation ou de dyschésie (4,6,13). C’est en tous cas les réserves que nous émettrons auprès de Madame X si un traitement chirurgical de l’entérocèle est envisagé.

Dans l’hypothèse où les pesanteurs sont en rapport avec l’entérocèle, quels gestes chirurgicaux peut on envisager et avec quels résultats fonctionnels et anatomiques ?

Le traitement de l’entérocèle est chirurgical. Il peut se concevoir à deux niveaux : celui du traitement préventif dans le cadre d’un geste de chirurgie pelvienne et celui du traitement curatif. Les données de la littérature sont éparses ou méthodologiquement peu solides dans ce domaine. Néanmoins, une étude contrôlée, randomisée récente, intéressant 100 patientes a comparé trois techniques de traitement préventif après hystérectomie par voie basse (15). Après un suivi de trois ans, il est apparu que l’entérocèle était fréquemment observée en cas de douglassectomie simple ou associée à une suture simple des ligaments utéro-sacrés.

Par contre, lorsque ces gestes étaient associés à une technique de suspension du fond vaginal (intervention de Mac Call), l’incidence de l’entérocèle secondaire était significativement plus faible (6 % vs 30 à 39 % respectivement). Différents types d’intervention chirurgicale ont été proposés pour assurer une cure efficace de l’entérocèle tant par voie abdominale que érinéale.

Ces gestes n’ont pas fait l’objet d’une évaluation objective comparative. Néanmoins, on peut retenir dans les études ouvertes que les indices de satisfaction symptomatique et anatomique étaient bons lorsque le traitement de cet espace anatomique associait à la fois la résection du sac péritonéal (douglassectomie) mais également une plicature musculo-ligamentaire (ligament utéro-sacré) et à l’interposition du fond vaginal) (16). Ces démarches thérapeutiques peuvent apparaître complexes dans le cas précis de Madame X parce que le pelvis a déjà fait l’objet de plusieurs approches chirurgicales et d’une irradiation. Il peut être concevable qu’une équipe chirurgicale souhaite ne pas s’engager dans une telle procédure compte tenu des risques encourus pour la patiente (hémorragie per opératoire, sepsis post opératoire).

Dans l’hypothèse où les pesanteurs sont en rapport avec l’entérocèle mais dans la mesure où les réticences des chirurgiens sont fortes (pelvis radique multi-opéré, patiente âgée, symptomatologie non critique), quelles alternatives thérapeutiques non chirurgicales peuvent être proposées ?

Nous ne connaissons d’autre alternative que celle d’aider Madame X à accepter son handicap parce qu’il n’existe pas de solution connue autre que chirurgicale.

CONCLUSION

De très nombreuses incertitudes persistent quant à la pathogénie de l’entérocèle, sa responsabilité symptomatique et sa prise en charge thérapeutique. Il convient d’évoquer le diagnostic d’entérocèle chez une patiente ayant des antécédents de chirurgie pelvienne et a fortiori d’hystérectomie. Il apparaît prudent de s’assurer de l’absence d’entérocèle avant un geste de chirurgie pelvienne corrigeant une cystocèle de grande taille, une hysteroptose ou un prolapsus rectal. De nombreuses incertitudes pathogéniques persistent pour d’autres troubles de la statique pelvienne dont on peut se demander s’ils ne sont pas secondaires à l’entérocèle elle-même (prolapsus rectal). C’est encore une des questions qui demeurera sans réponse dans l’histoire naturelle des symptômes et de l’entérocèle décrite par Madame X ...

Mis en ligne en mars 2018
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