Cas clinique : Mélanome malin | Proktos
Cas clinique : Mélanome malin
Cas clinique : Mélanome malin
Par Dr. Agnès SENEJOUXDécouvrez le cas clinique sur une prolifération tumorale
Mme P, 45 ans, sans antécédent personnel ni familial notable, consulte en décembre 2000 car depuis septembre, elle éprouve une dyschésie de plus en plus fréquente et importante. Une tuméfaction anale est également apparue, et Mme P. a bien l’impression que c’est cette grosseur qui gène l’évacuation. Elle signale également un épisode de rectorragie peu abondante il y a quelques semaines. L’examen clinique met en évidence une tumeur noire du canal anal qui s’extériorise au niveau de la marge à la poussée (photo n°1). L’examen physique, et en particulier l’examen des aires ganglionnaires, est normal.
EXAMENS REALISES
Un examen sous anesthésie générale est réalisé. Il confirme l’existence au niveau du quadrant antéro-droit d’une tumeur ulcérée, noire, dure, friable, semblant pédiculée, occupant les 2/3 supérieurs du canal anal, mesurant 7 à 8 cm de diamètre (photo n°2). Cette tumeur s’étend vers le rectum en haut. A proximité de son pédicule, on perçoit dans l’épaisseur de la paroi des nodules traduisant l’infiltration pariétale. L’examen du vagin paraît normal. L’écho-endoscopie confirme l’existence d’une tumeur infiltrant les sphincters interne et externe de l’anus. Une biopsie chirurgicale de la lésion est réalisée.
QUESTIONS
1. Quel diagnostic évoquez vous ?
2. Quel est le pronostic d’une telle lésion ?
3. Compte tenu du diagnostic et de son pronostic, quel(s) traitement(s) auriez vous mis en œuvre ?
La réponse de l'expert
26/06/2002 - Dr. Agnès SENEJOUX
L’examen histologique de la biopsie montrait une prolifération tumorale composée de nombreuses cellules cubo-cylindriques à cytoplasme abondant renfermant parfois des granulations brunâtres, centrées par un gros noyau vésiculeux. Le profil de marquage immunohistochimique confirmait le diagnostic supposé de mélanome malin (prolifération tumorale vimentine +, S 100 +, HMB 45+).
Le mélanome malin est une prolifération maligne des mélanocytes. Au niveau de la peau de la marge anale, des zones transitionnelle et malpighienne sous pectinéale du canal anal il existe des mélanocytes à l’état physiologique. Par contre, au niveau rectal, ces cellules sont classiquement absentes. Les exceptionnelles localisations rectales des mélanomes s’expliqueraient soit par la présence de zones de métaplasie comportant des mélanocytes (1), soit, pour Morson (2) par la migration sous muqueuse d’une lésion primitivement située dans le canal anal. La localisation ano-rectale du mélanome malin représente 0,2 à 3% de l’ensemble des mélanomes et 0,1 à 4,6% des tumeurs ano-rectales (3, 4). C’est la localisation digestive la plus fréquente après la localisation oesophagienne.
Cette tumeur serait plus fréquente chez la femme, cette prédominance est inconstante selon les travaux (sex ratio 2,3/1 à 1/1) (3-6). Un travail rétrospectif suédois sur un registre de 24323 tumeurs ano-rectales colligées sur 15 ans faisait état d’une incidence annuelle moyenne de 0,7 10-6 chez la femme et 0,4 10-6 chez l’homme (3). Les facteurs étiologiques du mélanome malin ano-rectal ne sont pas connus. Contrairement aux localisations cutanées et oculaires, le rôle de l’exposition au soleil ne peut être retenu.
Le diagnostic de cette lésion est habituellement tardif, la tumeur mesurant habituellement plus de 2cm au moment de sa découverte. Les signes cliniques sont non spécifiques et souvent initialement négligés par le patient. Le symptôme d’appel le plus fréquent est la rectorragie. Cette tumeur prend le plus souvent un aspect polypoïde comme chez Mme P, mais elle peut également être nodulaire ou sessile. La tumeur siège au niveau du canal anal dans près de 90% des cas, au niveau de la marge dans 6% des cas et bien plus rarement au niveau rectal. 30% des mélanomes ano-rectaux sont non pigmentés, le diagnostic différentiel avec une autre tumeur ano-rectale peut alors être difficile, y compris au plan histologique (en l’absence d’étude immunohistochimique ou de coloration de Fontana-Masson, spécifique des mélanocytes).
Le pronostic du mélanome ano-rectal est effroyable : la médiane de survie est de 13 à 19 mois, à 5 ans la survie varie selon les séries de 0 à 15% (4, 7).
La dissémination tumorale se fait par voie lymphatique et/ou sanguine. Il existe un envahissement ganglionnaire ou des métastases dès le diagnostic dans respectivement 41 et 22% des cas (4).
Compte tenu de ce pronostic le traitement de ce type de lésion est discuté. Il n’existe dans la littérature aucun travail scientifique permettant de valider une attitude thérapeutique. Le traitement chirurgical maximaliste, impliquant une amputation abdomino-périnéale et un curage ganglionnaire, s’oppose à la résection simple, évitant la colostomie définitive (7-9). Il n’existe pas de série concernant la radiothérapie dans le traitement des localisations ano-rectales du mélanome. Si l’on se réfère au traitement du mélanome cutané, le traitement adjuvant peut faire appel à la chimiothérapie, le plus souvent en monothérapie (dacarbazine ou DTIC® (10), et à l’immunothérapie (interféron alpha le plus souvent (11), BCG thérapie , GMCSF…). Aucun traitement adjuvant n’a fait la preuve de son efficacité sur la survie du mélanome malin cutané. L’interféron alpha permettrait d’allonger le délai des rechutes. Il n’existe aucun travail portant spécifiquement sur le traitement adjuvant des localisations anales. Le traitement des métastases reste désespérant, aucun traitement n’allongeant la survie (chimiothérapies, immunothérapies) (10). Le traitement palliatif fait donc appel à des drogues bien tolérées (comme la dacarbazine), en monothérapie (10). La survie des patients atteints de mélanome ano-rectal pourra peut-être bénéficier des avancées des protocoles thérapeutiques concernant les localisations cutanées, et en particulier des essais de thérapie génique.
Quant à notre patiente, son histoire était décidément bien noire… Une tumorectomie en janvier 2001 était suivie en février d’une amputation abdomino-périnéale compte tenu du caractère incomplet de la résection et de l’age de la patiente. L’étude histologique montrait un envahissement de toute la paroi rectale, avec des embols tumoraux lymphatiques, une atteinte de 15 des 25 ganglions prélevés (avec franchissement capsulaire), une limite de résection proximale saine et une hyperplasie mélanocytaire jugée discrètement atypique au niveau de la limite distale. Malgré un traitement adjuvant par interféron alpha-2B (10 millions d’unités/j , 5 jours sur 7 pendant 4 semaines puis 5 millions d’unités 3 fois/semaine) des localisations secondaires hépatiques apparaissaient en juin, puis pulmonaires en septembre. Un traitement par dacarbazine puis par fotémustine était entrepris. La patiente décédait en janvier 2002 soit 12 mois après le diagnostic.
Agnès Senéjoux (avec mes sincères remerciements au Dr Denis Soudan, Hôpital Léopold Bellan, Paris)
- 1. C. Werdin, C. Limas and R. G. Knodell. Primary malignant melanoma of the rectum. Evidence for origination from rectal mucosal melanocytes. Cancer 1988;61:1364-70.
- 2. B. C. Morson and H. Volkstad. Malignant melanoma of the anal canal. J Clin Pathology 1963;16:126.
- 3. S. Goldman, B. Glimelius and L. Pahlman. Anorectal malignant melanoma in Sweden. Report of 49 patients. Dis Colon Rectum 1990;33:874-7.
- 4. M. A. Weinstock. Epidemiology and prognosis of anorectal melanoma. Gastroenterology 1993;104:174-8.
- 5. B. Cagir, M. H. Whiteford, A. Topham, J. Rakinic and R. D. Fry. Changing epidemiology of anorectal melanoma. Dis Colon Rectum 1999;42:1203-8.
- 6. P. H. Cooper, S. E. Mills and M. S. Allen, Jr. Malignant melanoma of the anus: report of 12 patients and analysis of 255 additional cases. Dis Colon Rectum 1982;25:693-703.
- 7. M. W. Ward, G. Romano and R. J. Nicholls. The surgical treatment of anorectal malignant melanoma. Br J Surg 1986;73:68-9.
- 8. H. J. Wanebo, J. M. Woodruff, G. H. Farr and S. H. Quan. Anorectal melanoma. Cancer 1981;47:1891-900.
- 9. M. S. Brady, J. P. Kavolius and S. H. Quan. Anorectal melanoma. A 64-year experience at Memorial Sloan-Kettering Cancer Center. Dis Colon Rectum 1995;38:146-51.
- 10.Systemic treatments for metastatic cutaneous melanoma. T. Crosby, R. Fish, B. Coles, M.D. Mason. The Cochrane Library 2002, Issue 1. Oxford/ Update Software.
- 11. J. J. Grob, B. Dreno, P. de la Salmoniere, M. Delaunay, D. Cupissol, B. Guillot, P. Souteyrand, B. Sassolas, J. P. Cesarini, S. Lionnet, C. Lok, C. Chastang and J. J. Bonerandi. Randomised trial of interferon alpha-2a as adjuvant therapy in resected primary melanoma thicker than 1.5 mm without clinically detectable node metastases. French Cooperative Group on Melanoma. Lancet 1998;351:1905-10.