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Article : cancer épidermoïde de l'anus
Article : cancer épidermoïde de l'anus
Par G. STAUMONT, J.-M. SUDUCA, P. SUDUCALes cancers du canal anal et de la région péri-anale sont rares, représentant environ 2 % des cancers colo-rectaux. Une présentation polymorphe, parfois faussement rassurante, retarde trop souvent le diagnostic malgré une situation anatomique immédiatement accessible. Le diagnostic repose sur un examen proctologique rigoureux devant toute symptomatologie anale et la biopsie de toute lésion atypique
Classification des cancers de l’anus
La région anale constitue une zone de transition entre le rectum et le revêtement cutané, ce qui explique la diversité histologique des lésions néoplasiques regroupées sous le terme de cancer de l’anus. Il s’agit le plus souvent d’un cancer épidermoïde. Les formes peu ou non différenciées ont un plus grand potentiel métastatique et donc un plus mauvais pronostic. Le carcinome cloacogénique, développé aux dépends de l’épithélium transitionnel et réputé de plus mauvais pronostic, répond en fait aux mêmes indications thérapeutiques que le carcinome malpighien. L’adénocarcinome de l’anus doit être traité comme un adénocarcinome du bas rectum. La grande variété anatomopathologique des autres lésions et leur relative rareté, comme le carcinome colloïde, le mélanome, les lymphomes ou le carcinome baso-cellulaire, soulève la question du traitement approprié à chaque cas particulier.
Cancer épidermoïde de l’anus
Le carcinome épidermoïde est le plus fréquent des cancers de l’anus. Il est retrouvé dans 80 à 85 % des cas, mais ne représente qu’1 % des cancers digestifs. Il siège dans le canal anal ou au niveau de la marge anale immédiatement adjacente. Son évolution est essentiellement locorégionnale, les métastases viscérales n’étant retrouvées au moment du diagnostic ou au cours de l’évolution que dans moins de 15 % des cas. Ces dernières années, les techniques thérapeutiques ont évoluées vers une préservation de la fonction sphinctérienne grâce au développement de la radiothérapie souvent associée à la chimiothérapie, reléguant au second plan le traitement chirurgical. Encore faut-il que le diagnostic ne soit pas tardif, ce qui est encore trop souvent le cas malgré sa facilité d’accès à l’examen clinique.
fig. 1 – Cancer épidermoïde de l’anus. Petit bourgeon tumoral de la marge anale.
fig. 2 – Cancer épidermoïde de l’anus. Grosse lésion bourgeonnante et infiltrante de la marge anale.
Épidémiologie
Le cancer épidermoïde de l’anus se rencontre classiquement chez l’adulte d’âge mûr avec un pic de fréquence autour de 60 ans, frappant deux femmes pour un homme. Son incidence a augmenté ces dernières décennies, en particulier au sein d’une population plus jeune ayant une sexualité très active avec des partenaires multiples. Elle est trente fois supérieure parmi les homosexuels masculins. Le facteur prédisposant essentiel est l’infection par le papillomavirus humain (PVH), agent sexuellement transmissible responsable de la condylomatose anale. Or, d’une part la prévalence du PVH est d’environ 33 % dans la population homosexuelle masculine, si l’on considère l’infection infraclinique, d’autre part le PVH est identifié au sein des cellules tumorales dans au moins 30 % à 50 % de l’ensemble des carcinomes épidermoïdes de l’anus, en particulier le sérotype oncogène 16/18. En fait, une filiation entre le PVH, les dysplasies intra-épithéliales et le cancer épidermoïde de l’anus est désormais démontrée, comparable à celle déjà admise dans la génèse de certains cancers du col utérin, avec, dans cette population, une augmentation parallèle de l’incidence des carcinomes de l’anus. La dégénérescence des condylomes est possible selon la séquence suivante :
Condylomes (plus souvent PVH 16 –18) —> Dysplasie (I, II, III) —> Carcinome in situ —> Carcinome invasif.
Le risque de survenue d’une dysplasie de haut grade est significativement supérieur chez l’homosexuel masculin par rapport au sujet hétérosexuel, et l’existence d’une immunodépression liée au VIH majore encore le risque d’évolution vers un carcinome in situ. Cependant l’histoire naturelle de ces carcinomes in situ est mal connue, la plupart n’évoluant pas vers un cancer invasif. Des cofacteurs associés au PVH sont également évoqués comme d’autres agents infectieux vénériens, l’irritation locale chronique, ou le tabac.
L’identification de l’ensemble de ces facteurs de risque est en faveur d’une attitude préventive par une surveillance régulière des patients ayant présenté des condylomes anaux avec dysplasie de haut grade, en particulier chez les homosexuels masculins et les patients immunodéprimés.
D’autres états représentent, non plus des facteurs favorisants, mais de véritables cancers in situ: la maladie de Bowen, induite par un sérotype oncogène du PVH, et dans certains cas la maladie de Paget.
Clinique
Signes d’appel
Le cancer anal se traduit par des manifestations très variées, souvent peu spécifiques et trompeuses. Les rectorragies, contemporaines de la selle ou spontanées, sont le principal motif de consultation. La douleur est parfois révélatrice sous la forme d’un syndrome fissuraire typique, rythmé par la défécation, ou atypique avec la sensation d’une gêne, d’une pesanteur anale, de brûlure ou d’un simple prurit. La lésion peut être responsable de faux besoins, d’un suintement séro-sanglant ou d’une incontinence fécale par extension sphinctérienne. Le patient consulte parfois pour la perception d’une masse anale ou d’une formation se prolabant lors de la défécation, abusivement assimilée à une « pathologie hémorroïdaire ». Plus rarement, c’est une manifestation secondaire qui révèle la tumeur, adénopathie inguinale ou métastase à distance. Le caractère varié et non spécifique de cette symptomatologie impose, devant toute manifes-tation orientant vers la sphère ano-rectale, la réalisation d’un examen proctologique complet avant de conclure à un diagnostic souvent trop rapide d’hémorroïdes ou de fissure anale.
fig. 3 – Cancer épidermoïde de l’anus. Large ulcération à fonds et bords indurés de la marge anale.
Examen clinique
Il permet de différencier d’une part les lésions de la marge anale, accessibles à une simple inspection soigneuse avec déplissement des plis radiés de l’anus, et d’autre part les lésions du canal anal, pour lesquelles le toucher rectal et l’anuscopie sont indispensables.
Trois formes cliniques sont évocatrices :
– les formes bourgeonnantes : elles se situent au niveau de la marge anale ou dans le canal anal, se prolabant alors volontiers lors des efforts de poussée ;
– les formes ulcérées : il peut s’agir d’une simple fissure commissurale, mais plus souvent l’ulcération est latérale, à bord anfractueux, remaniée, plus ou moins infiltrée ;
– les formes infiltrantes : la palpation retrouve une induration de la marge ou du canal anal.
Certaines lésions ont un aspect plus trompeur : marisque, condylome, polype fibreux hémorroïdaire, fistule ou simple érosion. Le caractère hémorragique, indolore, friable et surtout infiltré doit faire suspecter le diagnostic.
Diagnostic
Le diagnostic repose sur l’examen histologique, avec un caractère différencié dans plus de 60% des cas. Seules des biopsies systématiques devant toute lésion suspecte par son aspect ou son évolution permettent un diagnostic précoce du cancer.
Le Squamous Cell Carcinoma Antigen n’a pas un grand intérêt pour le diagnostic de cancer épidermoïde de l’anus en raison d’une sensibilité insuffisante. Par contre, son élévation peut être un signe précoce de récidive lors de la surveillance de ce carcinome.
Pour chaque étape du diagnostic et du bilan, une exploration sous anesthésie générale est souhaitable pour apprécier les caractéristiques de la tumeur, réaliser des biopsies et rechercher des adénopathies, afin de mieux définir les décisions thérapeutiques ultérieures.
Bilan
Le bilan doit évaluer trois niveaux d’extension de la tumeur.
– l’extension locale est appréciée surtout par l’examen clinique (toucher anorectal et vaginal), mais aussi par l’anuscopie, la rectoscopie, enfin l’imagerie, tomodensitométrie, IRM et échographie endo-anale. La taille (diamètre, circonférence), la position (hauteur, extension vers le rectum et la peau) et l’infiltration vers les plans profonds (cloison recto-vaginale, prostate, sphincter, périnée) de la tumeur sont précisées, éventuellement lors d’un examen sous anesthésie générale ;
– l’extension régionale est dominée par les adénopathies inguinales et pelvi-rectales. Elles sont présentes au moment du diagnostic dans plus d’un quart des cas. La propagation lymphatique se fait pour le canal anal dans la gaine périrectale vers les ganglions du promontoire et de la chaîne mésentérique inférieure et pour la marge anale vers les ganglions inguinaux et la chaîne iliaque externe. Le risque de métastases ganglionnaires dépend de la profondeur, de l’infiltration, de la taille, du type histologique et du degré de différenciation de la tumeur. La clinique (toucher anorectal et palpation des aires inguinales) et l’imagerie (tomodensitométrie et échographie endo-anale) sont complémentaires dans cette recherche. Ce mode d’évaluation, lié au traitement conservateur, sous-estime probablement la présence éventuelle d’adénopathie métastatique. Toute formation nodulaire suspecte et accessible justifie une cytoponction transcutanée ou transmuqueuse ;
fig. 4 – Cancer épidermoïde de l’anus. Lésion bourgeonnante et indurée avec ulcération centrale.
La classification TNM (Union Internationale Contre le Cancer) |
|
T : Tumeur primitive |
|
Tx |
Tumeur primitive non évaluable |
T0 |
Pas d’évidence de tumeur primitive |
Tis |
Carcinome in situ (pré-invasif) |
T1 |
Tumeur < 2 cm dans le plus grand diamètre |
T2 |
Tumeur entre 2 et 5 cm dans le plus grand diamètre |
T3 |
Tumeur de taille > 5 cm dans le plus grand diamètre |
T4 |
Tumeur infiltrant les organes adjacents (vagin, urètre, vessie, …). L’envahissement des structures musculaires sphinctériennes anales de manière isolée n’est pas considéré comme T4. |
N : Adénopathie |
|
Nx |
Adénopathie régionale non évaluable |
N0 |
Pas d’adénopathie perceptible |
N1 |
Adénopathie(s) péri-rectale(s) |
N2 |
Adénopathie(s) régionale(s) unilatérale(s) mobile(s) |
N3 |
Adénopathies régionales bilatérales ou unilatérales fixées |
M : Métastase à distance |
|
Mx |
Métastase à distance non évaluable |
M0 |
Absence |
M1 |
Présence |
Classification par stades |
|
Stade 0 |
Tis N0 M0 |
Stade 1 |
T1 N0 M0 |
Stade 2 |
T1,2 N0 M0 |
Stade 3a |
T1-3 N1 M0 ou T4 N0 M0 |
Stade 3b |
T4 N1 M0 ou T1-4 N2-3 M0 |
Stade 4 |
T1-4 N0-3 M1 |
fig. 5 – Cancer épidermoïde de l’anus. Lésion prurigineuse, multi-érosive de la marge anale avec micro-reliefs papuleux.
–le bilan général recherche une dissémination à distance de la tumeur présente d’emblée dans seulement 7 % des cas, soit par ordre de fréquence des métastases hépatiques, pulmonaires, péritonéales ou osseuses. Il évalue également le terrain qui peut représenter des contre-indications à certaines thérapeutiques.
Ce bilan complet en permettant une classification de cette tumeur, oriente le choix thérapeutique et définit le pronostic. La taille de la tumeur initiale, l’infiltration en profondeur et la présence d’une métastase ganglionnaire sont les facteurs pronostiques essentiels. La classification TNM de l’UICC (Union Internationale Contre le Cancer) s’impose progressivement en reprenant ces critères. La dernière décennie a vu une amélioration dans le diagnostic initial, réalisé à un stade plus précoce avec 70 % de T1 à T3, N0, M0. Actuellement une classification basée sur les données échographiques est en cours de validation.
Traitement
Les objectifs du traitement sont de deux ordres : obtenir le contrôle loco-régional de la tumeur et préserver si possible la fonction sphinctérienne.
Méthodes
La radiothérapie
L’intérêt de la radiothérapie première ne se discute plus, puisqu’elle présente l’avantage sur l’amputation abdomino-périnéale de préserver le plus souvent la fonction sphinctérienne, avec une efficacité au moins équivalente sur la survie.
Elle fait appel à l’irradiation externe à haute énergie selon un protocole largement admis, soit 45 à 50 grays (Gy) étalés sur 4 à 5 semaines. Le volume d’irradiation inclut la tumeur primitive et les aires ganglionnaires à risques, avec le plus souvent les creux inguinaux, sites fréquents de récidive.
En cas de réponse complète ou partielle supérieure à 50 %, un surdosage de 15 à 25 Gy sur le volume tumoral résiduel est réalisé 4 à 6 semaines après le traitement initial par irradiation externe ou curiethérapie (Iridium 192).
La tolérance à l’irradiation est variable, avec des effets secondaires précoces souvent mineurs et transitoires à type de cystite, de rectite ou d’entérite radiques, de réactions
périnéales cutanées ou muqueuses. Les séquelles à distance sont rares, le plus souvent localisées au rectum et à l’anus.
Cependant dans moins de 5 % des cas, des nécroses importantes à distance ou des fibroses peuvent survenir, responsables de douleurs, d’hémorragie et souvent d’incontinence secondaire. Ces séquelles graves sur la fonction ano-rectale peuvent nécessiter une amputation abdomino-périnéale secondaire, alors même que la tumeur peut être stérilisée.
Malgré ces risques, des résultats préliminaires encourageants sont en faveur d’une majoration des doses initiales d’irradiation à 55-60 Gy et/ou une diminution de la durée totale
d’irradiation à 7-9 semaines, en réduisant le délai classique pour débuter l’irradiation complémentaire.
L’association radio-chimiothérapie
En 1974, Nigro rapporte pour la première fois des résultats satisfaisants d’une association radio-chimiothérapie. Récemment, plusieurs études prospectives randomisées ont confirmé l’efficacité de cette association thérapeutique dans le cancer épidermoïde de l’anus, dont l’objectif est à la fois d’augmenter le taux de stérilisation de la tumeur en préservant la fonction sphinctérienne, de diminuer le taux de récidive à distance et d’améliorer la survie des patients.
La majorité des protocoles associe à l’irradiation externe l’administration de 5 Fluoro-Uracile (5FU) et de Mitomycine C (MMC). Le 5FU est délivré en perfusion continue pendant 4 ou 5 jours (1g ou 0,8g/m2/j) et la MMC en une injection unique le premier jour (10 à 15 mg /m2). Le premier cycle de chimiothérapie débute avec la première semaine de radiothérapie. Le deuxième cycle est administré simultanément à la dernière semaine d’irradiation, généralement sans MMC dans les protocoles récents en raison de sa toxicité hématologique, qui doit conduire à la prudence chez les sujets d’âge avancé ou avec un état général altéré. Contrairement à des notions anciennes, cette chimiothérapie n’augmente pas significativement la toxicité aiguë ou chronique de la radiothérapie.
En raison de la toxicité de la MMC, d’autres protocoles de chimiothérapie ont été évalués, toujours en association avec la radiothérapie. L’utilisation de 5FU seul ou de Bléomycine est décevante. L’association 5FU et Cisplatine (CDDP), plus prometteuse, est en cours d’évaluation. Récemment une étude préliminaire associant deux cures de 5FU-CDDP, puis radio-chimiothérapie avec deux nouvelles cures a permis d’améliorer le taux de réponse complète, la survie sans récidive et même la survie globale à 5 ans. L’association 5FU-CDDP-radiothérapie semble également efficace comme traitement de rattrapage après échec d’une radio-chimiothérapie classique, avec une réponse complète dans 55% des cas.
fig. 6 – Cancer épidermoïde de l’anus. Electro-résection d’un petit cancer épidermoïde de la marge anale.
Indications
Ces dernières années, les protocoles recommandés sont devenus plus homogènes. L’orientation actuelle est de favoriser les traitements conservateurs, soit la radiothérapie seule qui semble suffisante sur les petites tumeurs, soit l’association radio-chimiothérapie dans les formes plus évoluées, voire dans tous les cas pour certains auteurs, en raison notamment de la difficulté d’affirmer l’absence d’adénopathie métastatique. L’AAP est réservée aux échecs tumoraux ou fonctionnels des traitements précédents, ou aux récidives.
Voici le schéma thérapeutique le plus souvent proposé.
Traitement par radiothérapie
Seules les tumeurs de stade T1 N0 M0 et certaines tumeurs T2 N0 M0 sont susceptibles d’être traitées à visée curatrice par radiothérapie seule. En cas de réponse complète ou partielle de plus de 50 % après une irradiation externe initiale de 45 Gy, un surdosage sur la tumeur primitive est réalisé. En cas de réponse inférieure à 50 %, l’AAP est indiquée. Le taux de survie à 5 ans est actuellement souvent supérieur à 85 %, soit meilleur que les anciennes séries chirurgicales, avec une conservation sphinctérienne dans plus de 90 % des cas ;
Chimiothérapie associée à radiothérapie
L’association concomitante à visée curative de la chimiothérapie et de la radiothérapie, délivrée selon le protocole précédent, est indiquée devant :
– toutes les tumeurs avec adénopathies présacrées ou inguinales, M0,
– toutes les tumeurs T3 ou T4, M0,
– pour certains, les stades T2 NO M0 jugés difficilement contrôlables par l’irradiation exclusive, soit les tumeurs infiltrantes, soit celles dont le pôle supérieur se situe à plus de cinq centimètres de la marge anale, soit celles étendues à plus de l’hémi-circonférence du canal anal.
Comme précédemment, la réponse thérapeutique est appréciée quatre à six semaines après la fin de la radio-chimio-thérapie, sous anesthésie générale et éventuelle biopsie profonde, suivie soit d’une irradiation complémentaire en cas de réponse complète ou partielle, soit d’une AAP en cas d’échec. Le taux de stérilisation avec conservation sphinctérienne varie de 70 % à 90 %.
Selon les études randomisées récentes, l’adjonction d’une chimiothérapie à la radiothérapie augmente le taux de contrôle local en particulier pour les lésions importantes, diminue clairement le taux de récidive loco-régionale d’environ 20 % à 3 ans, mais ne diminue pas significativement la fréquence de survenue des métastases. Paradoxalement le taux de survie globale à 5 ans après radio-chimiothérapie n’est pas supérieur à celui obtenu après irradiation seule, soit environ 60 % avec la réserve d’un manque de recul pour les études prospectives récentes.
L’amputation abdomino-périnéale
L’amputation abdomino-périnéale est exceptionnellement envisagée en première intention. Elle est indiquée après échec des traitements précédents, qu’ils s’agissent de la persistance d’un reliquat tumoral de plus de 50 % après radiothérapie ou radio-chimiothérapie initiale, ou d’une complication fonctionnelle grave de la radiothérapie. En cas de récidive locorégionale, une AAP est souvent préconisée, bien que certains auteurs suggèrent qu’une radiothérapie complémentaire de 20 Gy, éventuellement couplée à une chimiothérapie, permettent d’obtenir un contrôle et une survie équivalente à la chirurgie.
Traitement à distance
Le traitement des métastases à distance s’intègre classiquement dans un cadre palliatif, mais des protocoles de chimiothérapie associant en particulier 5FU-CDDP pourraient apporter un nouvel espoir.
En conclusion, l’approche radiothérapique et désormais radio-chimiothérapique dans le traitement du cancer épidermoïde de l’anus a permis une amélioration de la survie sans récidive et a transformé le prosnostic fonctionnel anorectal. La chirurgie radicale, autrefois traitement de choix, est devenue un recours thérapeutique de seconde intention.
La supériorité de la chimiothérapie 5FU-MMC couplée à la radiothérapie sur la radiothérapie seule est démontrée, mais bien qu’elle améliore la survie sans récidive, la survie globale à 5 ans n’est pas signicativement modifiée. Les résultats préliminaires de l’association 5FU-CDDP, couplée à la radiothérapie dont les doses seraient majorées et la durée globale réduite, sont très prometteurs mais doivent encore être confirmés.
Les autres cancers de l’anus
Le cancer cloacogénique
Le cancer cloacogénique ou basaloïde est un carcinome plus rare, développé aux dépends de l’épithélium transitionnel dérivé embryologiquement de la membrane cloacogénique du fœtus. Son incidence varie de 0,2 à 9 % des cancers épidermoïdes de l’anus selon les études, cette imprécision reflétant probablement la difficulté du diagnostic histologique. Ces limites diagnostiques n’ont pas de conséquences pratiques. En effet, il répond aux mêmes critères épidémiologiques et aux mêmes indications thérapeutiques avec une radio-chimiothérapie de première intention.
Le cancer colloïde de l’anus
Le cancer colloïde de l’anus est un adénocarcinome muco-sécrétant développé au niveau de l’épithélium glandulaire des glandes de Hermann et Desfosses. La lésion se présente sous la forme d’une fistule anale traînante, récidivante ou multi-opérée. La présence d’une sécrétion en « grains de tapioca cuits » est très évocatrice associée à une infiltration profonde lors du toucher rectal. Le diagnostic est confirmé par l’histologie de la pièce opératoire. L’AAP est le seul traitement à visée curative. L’analyse histologique de toute fistule anale est indispensable pour mettre en évidence une forme débutante, seul espoir d’un pronostic moins défavorable.
fig. 7– Cancer colloïde sécrétant de l'anus. (cliché J. Denis)
Le mélanome malin de l’anus
Le mélanome malin primitif anal est une lésion rare, représentant moins de 1 % des cancers de l’anus et prédomine chez la femme d’âge moyen de 60 ans. Son pronostic est sombre en raison de la survenue précoce de métastases, présentes dans plus de 25 % des cas au moment du diagnostic. Le taux de survie à 5 ans varie de 10 à 20 %, et a peu évolué depuis le début du siècle.
Les signes d’appel sont non spécifiques et volontiers tardifs, à type de rectorragies, tuméfaction anale, douleurs ou faux besoins. La pigmentation classique noirâtre n’est présente que dans deux cas sur trois, les formes achromiques représentant un piège diagnostique. Le diagnostic de certitude est histopathologique, quelquefois difficile en raison du caractère volontiers peu différencié.
Le traitement est d’abord chirurgical, mais ses modalités sont controversées. Le seul facteur pronostic identifié semble être le stade évolutif de la maladie, en particulier l’extension en profondeur de la lésion primitive, et non le mode de traitement chirurgical choisi. En conséquence, l’excision locale par voie endo-anale à visée potentiellement curative devrait être le premier choix thérapeutique lorsqu’elle est réalisable avec des marges saines. L’AAP serait alors réservée aux autres cas, en particulier lorsque les marges chirurgicales sont impossibles à négativer par une résection localisée. Une récidive survient chez plus des deux tiers des patients traités à visée curative, avec dans ce cas aucune survie à 5 ans quels que soient les choix thérapeutiques ultérieurs. L’intérêt des traitements complémentaires, qu’il s’agisse de la radiothérapie, de la chimiothérapie ou de l’immunothérapie est toujours en cours d’évaluation.
fig. 8– Mélanome malin de l'anus. (cliché J. Denis)
Pour en savoir plus
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